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Dialogue entre Anatole du Fresne et Alfredo Fini

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Ce dialogue de deux membres dAtelier 5 a paru pour la première fois en italien et en anglais dans le numéro 40 de la revue «Spazio e Società» d'octobre-décembre 1987. Ce texte est un inédit en langue française et en Suisse. La rédaction d Architecture Suisse est heureuse d'offrir à ses lecteurs cette conversation où la constellation dAtelier 5 définit sa position parmi les autres étoiles du firmament architectural.

Anatole du Fresne: Nous nous souvenons et nous parlons pour un moment d'autrefois, je m'imagine, des débuts d'Atelier 5, de ce qui nous préoccupait alors, et nous méditons à partir de là de ce qui nous préoccupe maintenant relativement à notre profession.

Alfredo Pini: L'autre jour, en relation avec le centenaire de la naissance de Le Corbusier - c'était une bonne occasion de m'en souvenir - il m'est apparu qu'à part les changements effectifs reconnaissables par chacun, il y a les changements de ta propre personne qui influencent pourtant essentiellement l'aspect des choses. En ce temps-là, aux débuts d'Atelier 5, nous avions vingt ou trente ans, aujourd'hui cinquante ou soixante. Alors, nous nous sommes embarqués pour réaliser des choses avec une volonté inaccoutumée, avec beaucoup d'enthousiasme et avec peu, vraiment peu de connaissances. On était beaucoup plus concentré sur ses propres tâches, pratiquement inébranlables, on était beaucoup plus agressifs, unilatéraux, et en fin de compte peut-être aussi bien plus âpres au combat. Ces débuts passés, tu dois pouvoir transformer l'expérience vécue en des forces positives car si l'expérience servait simplement à la description de ta propre existence elle serait au fond sans utilité. Tu vois, il est donc ardu de vouloir écrire une histoire objective; le propre développement et son changement de perspective jouent un rôle bien trop grand. Je peux bien sûr isoler de leurs liens et raconter des situations particulières, mais de là à... Si je dois parler de l'un des problèmes qui me tiennent à cœur au sujet d'Atelier 5, c'est celui du récent agrandissement de notre bureau. (Alfredo Pini parle de l'admission de nouveaux associés en 1985) La question qui me vient alors à l'esprit est de savoir si la nouvelle génération de notre bureau développera cette puissance de frappe nécessaire qu'elle devrait justement développer en raison de son âge, et si nous, les plus anciens, nous sommes en situation de saisir cette force de frappe afin que, mêlée à notre expérience, l'on puisse en faire quelque chose d'utilisable. AdF: Revenons-y plus tard. Mais d'abord, retournons encore une fois à la description de notre propre histoire. Certainement, il n'y a pas de description historique objective. Mais voici ce qui m'intéresse depuis peu et ce qui m'intrigue avant tout: lorsque je suis arrivé à l'Atelier 5, j'avais vingt et un ans. Le contexte qui nous entourait alors m'a moins, mais beaucoup moins préoccupé et irrité que celui qui fait cas aujourd'hui. C'est non seulement valable pour mes premières années à Atelier 5, mais aussi pour la période où j'ai eu trente ou trente-cinq ans. Alors je voyais avant tout ce que nous avions fait nous-mêmes, j'essayais simplement d'atteindre en toute circonstance les buts que nous nous étions fixés nous-mêmes avec nos idées et nos projets. Il me semble aujourd'hui que cela était non seulement valable pour moi mais aussi pour tous les autres dans notre bureau, et avec du recul j'ai le sentiment que nous sommes fortement restés dans cet état de naïveté. Ces dernières années cependant, à mon avis, une inflation d'informations s'est déversée sur nous; tout autour de nous se déroule une liquidation totale des valeurs, qui fait surtout naître en moi le sentiment que notre profession se dirige toujours plus vers un métier de mode. Je me demande maintenant si c'est effectivement le cas ou si c'est seulement ma perspective qui a changé. Cela m'irrite simplement de voir que la direction unique vers un langage bien déterminé de l'architecture se perd lentement par l'effet d'une curiosité générale. AP: J'ai le sentiment que si l'on ne dispose pas d'un très bon naturel pour de telles choses, l'on risque de devenir peu à peu un spectateur. Cela signifie que la volonté inaccoutumée de faire des choses est abolie par un besoin de savoir plus, de s'informer mieux, peut-être pour mieux pouvoir contrôler, même pour valoir plus vis-à-vis de l'extérieur, ou simplement, grâce à un supplément de connaissances, de retrouver l'envie qui s'était un peu perdue dans la routine. L'agressivité intellectuelle se perd avec le temps au profit d'un besoin d'information. 92.1

Au moment où tu m'as dit que tu te demandais si notre profession ne devenait pas de plus en plus un métier de mode, j'ai soudain réalisé que celui qui fait ce qui est à la mode selon toi ne le ressent surtout pas ainsi. Il croit qu'il fait son métier de l'intérieur vers l'extérieur. Aujourd'hui, si tu te mettais à parler avec un type comme Botta de «mode» à propos de l'architecture, lui ne te comprendrait pas. Peut-être ce que nous faisions nous-mêmes à nos débuts a-t-il passé aux yeux de nos adversaires et des vieux sceptiques justement aussi pour de la mode. Dans notre turbulence juvénile nous ne l'avons pas remarqué. AdF: Tu as certainement raison de dire que l'apparence des choses a quelque chose à voir avec l'âge qu'on a. Mais je dois simultanément te dire que je n'ai pas du tout envie de passer du rôle de celui qui fait à celui qui regarde; j'y vois un affaiblissement. Au-delà de la tendance à mieux s'informer, à prendre la place de celui qui regarde au lieu de celui qui agit ce n'est pas seulement l'âge qui est déterminant, je crois aussi y reconnaître un courant de notre époque. Lorsque nous étions plus jeunes nous avions des points de référence communs, pas seulement dans l'architecture mais aussi dans la littérature moderne, le théâtre et la musique. Chacun de nous ou presque connaissait Joyce, Beckett, Ionesco. On voulait lire la même chose, la comprendre afin de pouvoir s'en entretenir ensemble. De même en architecture, on ne connaissait que peu de noms mais l'on savait très précisément de qui l'on parlait. Dans l'architecture cette envie de s'informer conduit à jouer encore une fois tout cela d'un bout à l'autre, sans relation approfondie avec le contenu. L’on cite, qui l'un Gropius, qui l'autre Mendelssohn, qui l'autre encore Le Corbusier. En voici un qui vient aujourd'hui avec une cravate à la Semper et le lendemain avec des pantalons à la Schinkel. Comme tu le trouves d'ailleurs dans la mode d'aujourd'hui, on porte les pantalons du père, le manteau du grand-père... AP: ... Une des possibilités... AdF: ... qui n'existait pas ainsi de notre temps... AP: ... Mais la nostalgie a toujours existé. AdF: ... Un concept, dont l'introduction ou la réintroduction ne se situe pas très loin en arrière. AP: Pour moi tout ça va beaucoup trop vite. D'un côté je puis à peine me dérober à l'information, et de l'autre je me demande si l'excès d'information est vraiment assimilable. Autrefois tu avais trois revues d'architecture, aujourd'hui vingt, et c'est tout juste si tu les feuillettes encore. Quant à moi je ne suis pas sûr en effet que cette abondance d'information conduise à une détérioration de la confiance en soi. Car je crois d'une certaine façon que tu te protèges contre cette abondance d'information. Bien sûr, l'on peut se demander si autrefois il y avait autant d'architectes volages. Quand je vois comment les collègues du même âge font de l'architecture, eh bien, c'est à se demander si certains d'entre eux ont fait une cure de rajeunissement. Evidemment non, en vieillissant ils ont pris simplement quelque chose qui, au fond, ne fait pas partie d'eux-mêmes. Peut-être, parce que déjà ce qu'ils avaient fait autrefois n'a pas été leur propre chose. Mais si quelqu'un éprouve un besoin réel et fondamental d'exercer un métier, que ce soit l'écriture, la peinture ou la sculpture, et s'il le prend à cœur, eh bien, il restera sans doute fidèle à son langage, parmi les hauts et les bas, il sera justement plus ou moins apprécié ou méprisé. Ce type-là existe aussi parmi les architectes. Et c'est à ce type qui cherche toute une vie à être lui-même que nous aimerions au fond appartenir. A coup sûr, face à tant de parutions de mode différentes je me sens parfois physiquement mal, tout cela m'irrite autant que l'architecture des années cinquante. Je ressens exactement les mêmes aversions, sans pouvoir expliquer du tout en quoi elles sont fondées. AdF: Lorsque je pense aux collègues, je me pose aussi la question de savoir ce que nous recherchons exactement, l'isolement ou la fraternisation? En repensant aux débuts de l'Atelier 5, nous avions par exemple dans nos concours échec sur échec. Etait-ce donc un isolement voulu ou non ? AP: Guère voulu... tout de même peut-être à cause de notre attitude... AdF: Les suites négatives, nous ne les avons cependant pas désirées. Nous avons espéré être un jour compris. Ensuite il y a eu un temps de fraternisation, où l'on avait le sentiment que parmi nos collègues, il y en avait aussi qui se mettaient à chercher dans la même direction. Et maintenant à nouveau, ces dernières années nous nous sommes plutôt isolés. Cependant il n'y avait pas un

temps où nous avions mieux compris nos collègues que maintenant? AP: Peut-être fut-il simplement un'temps où l'on se retrouvait au niveau des déclarations d'intention. Mais après, lorsque chacun a eu construit ses choses, l'on a ma foi remarqué que c'était pas de la même chose dont on avait parlé. Lorsque nous avions trente ans comme nos collègues, personne ne disposait d'une œuvre construite pour comparaison. Alors aussi l'on n'était pas si nettement défini. Deux ou trois de nos bâtiments, quelques-uns des autres, mais pas de contours nets. Nous étions naturellement liés d'amitié avec toute une série de gens, des étudiants qui avaient fait leur stage chez nous, qui n'avaient pas construit non plus ce dont ils parlaient. Il se peut bien que ce soit après avoir examiné leurs premiers travaux que nous nous sommes perdus de vue... Ils se sont révélés, nous aussi, et maintenant l'on remarque que nous ne sommes pas les mêmes. Un phénomène qui a aussi quelque chose à voir avec les années. AdF: Mais ces amis ou ces personnes qui pensaient autrefois la même chose, n'ont-ils pas bien plus que nous cédé aux courants de la mode? AP: Peut-être étaient-ils tout simplement plus soumis aux courants, parce que, plus que nous, ils se sont laissés porter par des personnes nouvelles, plus jeunes, dans leurs bureaux. L'architecte qui peut justement maintenir son travail de A à Z dans les mêmes conditions que nous, qui développe presque toujours ses projets dans un cercle permanent qui est le même est peut-être bien une exception. Dernièrement, tout étonné, tu m'as raconté ce que Behnisch t'avait dit: il voulait sans cesse s'entourer de gens nouveaux dans son bureau qui s'en iraient à la fin d'un travail, car il redoute de se voir entouré un jour seulement par des gens de soixante-cinq ans. Cela signifie que le «maître» laisse travailler librement ses élèves, qu'il se fait quasiment interpréter dans son propre bureau par des gens d'humeur à penser de la même façon. Pendant ton récit, j'ai pensé à toute une série de collègues, de purs «Behnisch». AdF: Qui voient maintenant le monde avec d'autres yeux, parce qu'ils ont autour d'eux d'autres gens, plus jeunes. AP: Dans notre composition nous n'avons guère changé. Voilà plus de vingt-cinq ans que nous sommes ensemble et il me suffit qu'il y ait assez de gens comme toi. Ralph, ou Denis qui collaborent avec moi. A vrai dire je n'y avais encore jamais si précisément pensé, mais c'est comme ça. Je le remarque aussi lorsque je rencontre d'autres collègues, au sein d'un jury, par exemple: nous passons aux yeux de beaucoup pour une association très étrange, qui s'isole fortement, qui prend des positions extrêmes, une sorte de réactionnaires modernes qui s'opposent aux influences et aux courants les plus divers. Moins perméables que d'autres, justement. Je crois que cela se situe dans une relation étroite avec notre propre histoire de groupe. AdF: Moi aussi. Jusqu'ici nous n'avons jamais utilisé l'expression de «réactionnaires modernes», mais elle me paraît pourtant répondre avec une grande précision à notre situation. AP: ... Le paysan qui ne change d'avis que lentement, ou pas du tout. AdF: Mais justement avec la grande particularité que nous ne nous fermons pas à la nouveauté, mais à l'apprêt de ce qu'on a déjà eu. Je me rappelle vraiment bien que lorsque j'ai vu pour la première fois un bâtiment de Foster pour de bon - c'était Ipswich à l'époque - je me suis demandé alors si ce que nous faisions était encore moderne. Nous construisons en «argile» et «en terre», nous maçonnons et nous crépissons, et ce que lui fait là c’est vraiment moderne. Feindre de redécouvrir la relation avec l'histoire, voilà ce qui nous tombe sur le système. AP: D'un côté le penchant pour le mensonge, de l'autre un manque croissant de dépendance à la réalité. Lorsque je siège dans un jury, il me semble souvent que les gens veulent se leurrer «a tutti costi». (Le texte allemand mentionne l'expression française «à tout prix») On ferme l'œil sur les faits les plus simples touchant à la réalité, parce qu'ils se trouvent en travers du chemin d'une idée, tout simplement. Moi, qui devrais pourtant être plus progressiste que n'importe quel conseiller municipal, je dois ensuite rappeler les gens, je dois leur demander si ce qu'ils sont en train de raconter là est vraiment vrai ? Et soudain, je me mets à passer dans le cercle des gens de l'administration pour un hyperréaliste, et pêle-mêle, les autres pour des extravagants, avec un penchant pour l'attitude schizophrène. AdF: J'y vois pourtant des parallèles très clairs à l'atmosphère qui règne actuellement dans notre métier. 92 III

Voilà que me vient à l'esprit l'exemple de notre projet fait lors d'un concours pour un nouvel hôpital. Une maison, comme elle nous semblait devoir être, construite en fonction des besoins des malades, comme nous l'avions justement imaginée. Une telle chose passe de nos jours pour avoir trop peu d'importance et cela nous est arrivé assez souvent. Dans la réalité, il arrive naturellement beaucoup moins de choses que si l'on avait pu construire effectivement tout ce que nous avons proposé. Le lien de dépendance de la réalité nous interdit le spectaculaire. AP: En ce qui concerne le spectaculaire, j'essaie simplement d'apporter une expérience de vécu. Si cela ne suffit pas... AdF: Tu sais bien que ce problème nous préoccupe. Mais si tu te mets à voir d'un côté que tes bâtiments se distancent de la plupart des autres qui se construisent et que de l'autre tu te trouves entouré d'une suspicion évidente dans les concours... AP: Eh bien oui. Nous ne parlons justement pas de la même chose. Actuellement, manifestement ce qui est convenable ne se vend pas. AdF: Lorsque tu proposes un projet, une solution simple, convenable, dans l'actuelle scène du concours tu te fais jeter par la fenêtre. Et lorsque tu vois ce qui se construit véritablement, tu te rends compte que tout cela n'était que de la charlatanerie. AP: L'on ne veut pas d'allusion précise en ce moment. Mets-toi sérieusement à la tâche, et on te prend pour un clown. AdF: A nouveau, ma question était de savoir si toute la scène de notre métier n'avait pas bien changé vis-à-vis d'autrefois. Tu viens d'objecter que nous aussi nous avons naturellement changé, que nous sommes devenus plus âgés et que par là nos perspectives ont donc aussi changé. A ton avis, en un certain sens, de leaders nous serions devenus spectateurs. Je ne m'en console pas si facilement. La situation présente me coupe le souffle. Je me souviens que je me suis rendu à Paris, il y a vingt-cinq ans pour voir la grande exposition du Corbu. J'étais totalement enthousiaste, et je n'ai vu là-bas que ce qu'il y avait à voir. En architecture je ne connaissais rien de ce qui aurait pu m'énerver, mis à part [Le] Corbusier rien d'autre ne m'intéressait que ce que nous faisions nous-mêmes. Et récemment, je me trouvais de nouveau à Paris par hasard dans deux expositions d'architecture. La première à l'Institut Français d'Architecture, une très belle exposition de Maki, mais en définitive inconnue ou presque du grand public, et juste après, l'autre, une gigantesque exposition de Hollein au Centre Pompidou, dans laquelle je me suis mis en colère contre le «navet» qu'on exposait là, colère d’autant plus grande qu'elle n'aurait jamais pu se produire dans ma jeunesse. Alors je me demande simplement si je deviens de plus en plus haineux près de la cinquantaine, ou si le climat dans notre profession n'a pas changé au point que cela devient effectivement de plus en plus insupportable. AP: Cela me touche moins que toi à mon avis. Au début j'étais agressif comme tout, absolument fanatique, je ne laissais aucune place pour d'autres pensées. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que je perdrais mon temps si je me mettais en colère contre un type comme Hollein. AdF: Mon opinion n'est surtout pas que l'on doive s'enfermer dans cette colère. Mais lorsque je vois Ralph sortir de la gare d'Orsay et dire que c'est probablement le plus mauvais bâtiment qu'il ait jamais vu, sachant simultanément que les critiques ont célébré ce bâtiment comme une œuvre d’art glorieuse, j'en arrive à me demander si un tel changement de l'opinion ne finira pas par avoir obligatoirement une influence sur notre propre production. Si cela doit avoir une influence en ce sens que nous essaierons de faire notre travail avec plus de modestie, de justesse encore, tout est bien qui finit bien, et je suis tranquille. Mais j'en doute déjà. Lorsque je vois la façon dont nous sommes en compétition avec d’autres architectes, lorsque je vois que le public commence à s'habituer à un langage de bonimenteurs, quand je vois comment en Allemagne - je dois m'exprimer à propos d'Hollein, encore une fois - les critiques les plus considérables exigent que le Musée d'art moderne de Francfort soit finalement construit, alors que je sais que c'est une vraie tourte d'anniversaire, la pire que tu puisses t'imaginer..., je ressens simplement une certaine angoisse existentielle. AP: Si j'ai une angoisse existentielle, ce n'est pas pour la situation générale déconcertante que tu viens de décrire. C'est plutôt cette autre question qui me préoccupe: avons-nous nous-mêmes assez de force pour nous rendre résistants au décor de ce théâtre? L'étendue du lac, je la considère comme une donnée et pour moi il

n'y a qu'une seule question : ma forme est-elle suffisante pour le traverser à la nage? AdF: Le théâtre qui se déroule autour de nous fait peur, cela m'attriste que le langage de l'architecture commence à devenir si spectaculaire que nous ne puissions plus tenir aucun dialogue. A condition que nous soyons suffisamment bons par la simplicité de notre propre langage, dis-tu, tu n'auras pas peur, ce qui te préoccupe seulement c'est la question d'être précisément assez clairs et corrects. AP: Exactement. Et donc à cause de cela trop peu spectaculaires, pense donc à la «mensa», un bâtiment follement audacieux. Ou, comme je pense, à ce projet d'hôpital sur lequel nous nous acharnons actuellement qui devient vraiment tout autre chose que ce qu'on a vu jusqu'ici dans cette direction. Ou Thalmatt 2, là il n'y a pourtant pas d'équivalent. AdF: Mais pour toi il reste aussi une question: notre structure de bureau (le groupement de 19 partenaires) travaille-t-elle contre notre quête d'unité ou la soutient-elle? Ici, je dois à nouveau penser à la façon dont Behnisch décrit son bureau, et je crois bien que nous faisons vraiment beaucoup pour assurer la qualité et la continuité de notre travail avec notre penchant à nous lier «pour la vie entière». AP: Moi aussi. En définitive pas seulement parce qu'après trente ans de travaux nous ne nous conduisons vraiment pas comme des patriarches toisant les générations montantes avec un regard protecteur. Nous disons: nous travaillons ensemble vous comme moi et nous abordons le problème sur le même pied d’égalité. Je ne suis ni Behnisch ni Hertzberger, je suis une partie d'Atelier 5 et c'est là que je vois une particularité. AdF: Quelque chose qui n'est naturellement pas plus compris maintenant qu'auparavant. Je me souviens maintenant d'une discussion entre Behnisch et Lackner (Groupe 4, Autriche) sur le thème «Pourquoi Atelier 5 ne fait pas apparaître ses auteurs?» Dans ce débat, j'ai essayé d'expliquer que nous ne citions pas les architectes en charge des projets parce que nous avions reconnu que la qualité des projets n'était pas seulement déterminée par ceux qui y travaillaient directement, mais par tout l'Atelier 5. Crois-moi si tu veux, c'est comme si j'avais prêché la révolution ! Dans ces circonstances, tous deux croyaient que l'auteur se sentait écarté. Là-dessus j'ai rétorqué à Behnisch : et que veut donc dire «Behnisch et Associés»? Si je suis «et Associés» à quoi se voit ma participation ? Alors je me trouve simplement mentionné comme le commis d'un maître, ce que je ne suis pas en réalité. Nous faisons nos travaux dans le cadre d'un collectif, et la dénomination d'Atelier 5 est la seule qui soit juste... Fondamentalement, les deux n'ont pas eu d'argument valable, mais ce manque d'arguments m'a paru abattre justement une résistance perceptible. Et chaque fois cela revient dans de telles conversations: à Atelier 5, croit-on savoir, il y aurait trois ou quatre personnes qui auraient véritablement voix au chapitre. Mais nous, nous savons qu'il en va autrement. AP: A moitié juste, à moitié faux. Mais la seule chose qui m'intéresse là-dedans c'est ce qui est faux. Ce qui m'intéresse, c'est l'efficacité d'un grand groupe. Au fond je ne sais pas moi non plus où donc se situerait le vrai problème. Si nous admettons que l'acte de construire est une affaire relativement compliquée, de longue haleine, qui réclame à tous les niveaux qualité et engagement, comment pourra-t-on étager plus haut l'engagement de l'un plutôt que de l'autre? Il n'y a alors aucune raison. Affaire de tradition pour les uns, de politique commerciale pour les autres, pour nous il n'y en a aucune d'accorder un statut privilégié à des personnes en particulier. Je sais cependant que nous avons de la peine à nous faire comprendre, même parmi nos amis. AdF: Là nous avons pour une fois construit quelque chose que l'on peut difficilement comprendre dans notre société. Imaginons Behnisch mort (le pauvre, il ne s'agit pas de lui mais du cas de figure), c'est un tollé dans la presse et, à l'inverse, il est tout à fait impossible que le «et Associés» puisse mourir. Chez Atelier 5, quiconque recherche le titre d'auteur, celui d'artiste en tant qu'individu, se brise contre du granit: pas de place pour ça chez nous. Imagine-toi un peu qu'un type comme Botta tombe malade... AP: C'est un empire qui s'écroule. AdF: Jette un peu un coup d'œil sur le déroulement de la journée ou de la semaine d'un tel homme... AP: Alors... arrive l'heure de vérité...

AdF: Deux jours professeur ici, un jour de préparation, un jour de voyage, un jour au bureau en train de voltiger de table en table. Quand tu racontes combien de temps, avec quelle intensité chacun de nous s'occupe de ses projets, quel est le temps durant lequel nous restons ensemble, combien longtemps nous avons discuté ensemble de problèmes communs, du nombre de choses dont on peut s'entretenir, eh bien, alors tu vois soudain comment tu te retrouves isolé avec ta façon de travailler. AP: Et combien cela est peu agréable lorsqu'on rappelle cette façon de travailler au bon souvenir des gens qui aimeraient au fond faire la même chose, qui prétendent peut-être bien faire ainsi mais qui en réalité ne peuvent plus le faire parce qu'ils se sont organisés et engagés autrement. AdF: Un groupe comme le nôtre est-il en mesure de faire des projets dont on aimerait bien attribuer la paternité à un seul auteur rien qu'à partir de leur empreinte, que ce que nous racontons sur notre façon de travailler devient soudain incroyable ! AP: Difficile d'admettre ce que l'on ne veut pas comprendre. Je me souviens de ma conférence à Genève qui a traité principalement du travail au sein du groupe. Alors les gens sont devenus très inquiets. Inquiets car ils étaient curieux. Je me demande parfois si nous ne nous vendons pas très mal sous ce rapport. AdF: Il n'y a rien à vendre. Le seule chose qui soit sûre c'est que l'on serait rassuré si nous nous mettions à dire: entre nous, c'est moi qui ai fait tout ça. Mais revenons à la question de savoir s'il était vraiment juste d'étendre notre cercle d'associés comme nous l'avons fait en 1985... J'en suis convaincu. Par là nous avons démontré que notre façon de travailler était non seulement correcte, mais transmissible. Pour tous ceux qui travaillent chez nous il est important de savoir qu'au fond nous aimerions collaborer avec eux pendant toute une vie. AP: Dans ce cas, je me fie aussi à notre instinct. Chaque fois que surgissent des doutes, j'essaie de me souvenir et alors, à mes yeux, il devient clair que le premier élargissement du cercle d'associés avait déjà mené exactement à ce que nous avions souhaité. Cependant, en ce temps déjà, ce pas n'était nullement une évidence: cela nous a peut-être coûté Fritz, Gerber et Morgenthaler (associés qui se sont retirés juste après l'élargissement en question). Et aujourd'hui plus d'un attend de nouveau du nouvel élargissement du cercle d'associés que ce soit peut-être la perte d'Atelier 5, parce que l'on ne considère pas ce que nous faisons comme possible. Je le ressens à nouveau. AdF: Probablement les gens attendaient-ils déjà cela lors du premier élargissement. Pourtant revenons-y encore : en disant que le théâtre sur la scène actuelle de l'architecture te préoccupe moins que la question de savoir si nous sommes assez clairs et simples, et liés, si notre structure est adaptée à traduire cela dans la réalité, que penses-tu encore? AP: Que l'on ne doit manquer aucune occasion d'atteindre la simplicité et la clarté dans nos travaux. Qu'il faut avant tout atteindre une conscience entre nous tous, que la question c'est ça. De là aussi découle notre joie à travailler, je le vois. Ce qui ne doit pas se passer pour nous, c'est qu'à cause d'une certaine routine, d'une certaine confiance en soi, d'une fatigue et d'un démantèlement de l'agressivité, nos expressions ne deviennent toujours plus incompréhensibles. Cela peut arriver lorsque l'on n'est pas assez conscient qu'il faut se battre là-contre. Dans un groupe aussi large, on ne peut pas absolument présumer l'instinct comme une chose allant de soi.